Le moins connu peut-être des Saints illustres de son temps, saint Pémen ou Pasteur était cependant très-célèbre dans l'antiquité. Il n'y a point de nom plus environné de gloire dans l'histoire des Pères du désert, disent Baronius et Tillemont, que celui de saint Pémen ou Pasteur. Les Grecs lui donnaient de grands éloges dans leurs Ménées, et il parait avoir justifié leurs louanges. Ils l'appelaient "concitoyen des Anges, chef des solitaires et prince du désert". Ils le comparent à un soleil qui brille par ses prodiges sur toute la terre, et comme le miroir de la Divinité, par la sainteté de sa vie.
Il était Egyptien d'origine, et pouvait avoir atteint à peine l'âge de 15 ans lorsqu'il abandonna le siècle vers 385; mais il avait dès lors un si merveilleux talent de persuader l'amour de la vertu, que ses frères, touchés de ses pieuses invitations, le suivirent dans sa résolution et se rendirent solitaires avec lui. Ils étaient au nombre de 6, dont l'un, plus âgé que lui, s'appelait Anub, et un autre, Payse ou Paëse; les autres, Simon, Alone, Nesteros et Sarmace le Jeune. Nous n'entrerons pas dans le détail de ses vertus, de ses austérités et de ses miracles qui élevèrent sa réputation bien au-dessus de tout ce que nous pourrions en dire.
L'humilité était sa vertu pour ainsi dire favorite, après laquelle la charité, la douceur et la patience étaient les plus constants objets de son application. Pour donner à toutes ces vertus une sauvegarde assurée, et à la pureté surtout, il se livrait aux plus rudes austérités de la vie monastique. Il passait quelquefois 2 jours entiers sans prendre aucune nourriture, et à mesure qu'il crût en âge, il poussa jusqu'à 4 et 5 jours ce jeûne rigoureux. Il s'était interdit rusage du vin et de la viande, et si parfois il déviait de cette règle, ce n'était que par charité et en arrosant de ses larmes les aliments qu'il consentait à prendre. Toutefois il était aussi indulgent pour les autres que sévère pour lui-même; sa maxime était qu'il ne faut pas tuer le corps, mais tuer les passions. Non moins assidu aux veilles, à la prière et aux travaux manuels qu'aux autres austérités, il partageait les 12 heures de la nuit en 3 périodes différentes, 4 heures à travailler, 4 heures à prier, et 4 heures à prendre un peu de repos. Le jour il travaillait jusqu'à Sexte, lisait jusqu'à None, et puis ramassait des herbes pour se nourrir.
Sa profonde sagesse et sa haute sainteté se font remarquer tant dans ses conseils que dans la direction des religieux. Nul n'était plus adonné que lui aux pratiques de la vie intérieure, et plus soigneux de s'éloigner de tout ce qui pouvait faire naître des distractions et le souvenir d'un monde qu'il avait abandonné, et pour lequel il n'avait que du mépris. Sa mère elle-même, étant venue le visiter, reçut cette réponse : "Lequel aimez-vous mieux, me voir présentement un moment, ou être éternellement avec moi dans le monde à venir? Vous jouirez du bonheur du Ciel si vous résistez maintenant à votre désir". La mère, entendant ce discours de son fils à travers la porte, qu'il ne lui avait même pas ouverte, se retira, en disant :
«Je renonce au plaisir de vous voir sur la terre pour m'assurer le bonheur de jouir de votre compagnie dans le Ciel".
Une personne de Syrie, attirée par la réputation de son mérite, étant venue pour le consulter sur l'endurcissement du coeur, saint Pémen lui répondit : "L'eau est molle et la pierre est dure. Cependant l'eau, tombant d'un vase goutte à goutte sur la pierre, la perce peu à peu. Il en est de même de la Parole de Dieu. Bien qu'elle soit molle en quelque façon par sa douceur, et que notre coeur soit dur par son insensibilité, si on a soin d'écouter souvent cette divine Parole, elle ouvre enfin le coeur, malgré sa dureté, pour y faire entrer la crainte salutaire de Dieu".
Il regardait l'humilité, ainsi que tous les autres Saints, comme le fondement et la preuve de toutes les vertus. "Elle est", disait-il, "aussi nécessaire à l'âme que la respiration est nécessaire au corps. Les hommes portent leur méchanceté derrière eux, disait-il encore". Enfin, il assurait que cette vertu était la source de la paix de l'âme. Un jour un frère lui disait : "Comment est-ce, mon Père, que je puis éviter de parler de mon prochain?" Et il lui répondit : "C'est si vous êtes assez humble pour vous reprocher vos défauts. Imaginez-vous pour cela que vous et votre prochain êtes comme 2 tableaux. Si, en considérant celui qui vous représente vous-même, vous n'y trouvez que des défauts, vous trouverez indubitablement que celui de votre prochain, est respectable et admirable en comparaison du vôtre. Si, au contraire, le vôtre vous paraît bon, vous trouverez laid celui de votre prochain. Ainsi, vous vous garderez bien de détracter de qui que ce soit, si vous pensez plutôt à vous reprendre vous-même".
Il regardait l'obéissance et le renoncement à sa propre volonté, comme l'instrument le plus efficace de l'âme pour arriver à la perfection, et il disait : "On avance dans la vertu selon qu'on se défie de soi-même, qu'on reoourt à Dieu dans la peine avec une humilité profonde, et qu'on jette derrière soi sa propre volonté; car", ajoutait-il, "notre volonté propre est comme un mur d'airain que nous mettons entre Dieu et nous, ou comme une pierre qui nous en repousse. Abandonnons notre propre volonté, et nous pourrons dire avec le Prophète : Le mur ne m'arrêtera pas; je le franchirai pour aller à Dieu "..
Voici les règles qu'il donnait pour le silence. On lui demandait s'il était mieux de parler que de se taire. "Celui qui parle pour l'amour de Dieu, fait bien", répondit-il, "et celui qui se tait pour l'amour de Dieu, fait bien aussi". - "Si vous mettez un frein à votre langue", dit-il à un autre, "vous serez partout en repos". - "Quelque peine qui vous survienne, si vous savez vous taire, vous l'avez vaincue". Un frère lui dit : "Quand je vois quelque chose, dois-je d'abord le rapporter?" II lui répondit : "Vous savez ce que dit l'Ecriture : Celui qui répond avant d'avoir écouté, est un insensé, et se fait mépriser. Ainsi, lorsqu'on vous interroge, répondez, à la bonne heure; autrement gardez le silence".
Pémen fut plusieurs fois obligé de changer de désert, à cause des fréquentes incursions des Barbares. Ainsi, en 395, après des ravages affreux commis à Scété par les Maziques, il dut se retirer avec ses frères à Ténéruth, près d'un ancien temple d'idoles, et y rester plusieurs années. Mais le danger qu'il y avait encore d'y demeurer, à cause des attaques incessantes dont ils étaient l'objet, le porta, bien malgré lui, à gagner le désert voisin de la ville de Diolque, qui était peuplé de solitaires et où il y avait plusieurs monastères.
Enfin, dès que le calme fut rétabli, il revint à Scété, où il se livra plus que jamais aux délices de la contemplation. A mesure que sa fin approchait, son ardent amour pour Dieu augmentait, le trésor de ses mérites se remplissait; son corps, exténué de veilles et de prières, se détachait; son âme, toute séraphique, s'élevait à de continuelles extases, jusqu'à ce que, mûr pour le Ciel, il s'élança radieux dans le sein de son Dieu, l'an 451, vers sa 80ième année.




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