Théodora la bienheureuse qui porte le nom du Don et de la Grâce divine («Théodore» = don de Dieu) vécut pendant le règne du roi Zénon (474). Elle naquit et grandit à Alexandrie, ville qui, ornée de diverses beautés, était bien plus embellie et louée grâce aux vertus de cette sainte. Dans cette ville, ses parents la marièrent à un jeune homme noble et de bonnes moeurs, auquel la jeune femme se soumettait, en toute pureté et loyauté comme cela se doit des femmes modestes. Son mari, sage comme il l'était, voyant la conduite vertueuse de sa femme, essayait de l'imiter autant qu'il le pouvait, si bien que tous les deux se conduisaient très vertueusement et plaisaient à Dieu.

Mais il n'est pas possible pour ceux qui vivent selon Dieu de ne pas avoir de tentations venant du diable, ennemi du bien; c'est pourquoi, voyant ce couple béni vivre ainsi en gardant Þdèlement les commandements du Seigneur et accomplir les vertus des ermites avec tant de piété et d'empressement, l'infâme les envia et Þt tout son possible pour les séparer, de la façon suivante. Il enþamma le coeur d'un jeune homme très riche d'un amour satanique pour la chaste Théodora. La passion le gouvernait tellement que, jour et nuit, éveillé et endormi, il voyait Théodora et lui parlait dans son imagination, si bien que le malheureux soupirait après elle. Aussi, il paya des femmes adonnées à la sorcellerie et à la dépravation pour qu'elles essaient, de leur mieux, de persuader Théodora - avec des paroles d'amour et des pièges sataniques - et de l'amener à son désir. Une de ces nombreuses femmes, initiée par le diable, commença, après avoir jeté des sorts, à inciter Théodora par diverses paroles, et celle-ci lui dit : «Pourquoi me forcez-vous à faire une action si inique ? Moi, je tremble à la pensée de ce terrible jour du Jugement, je crains la géhenne, j'ai même honte devant ce soleil qui serait témoin de cet acte exécrable.» La mauvaise femme lui dit alors : «Ne crains pas pour cela, ma Þlle, mais écoute mon conseil : que la chose se fasse après le coucher du soleil, et ainsi personne ne le saura ni ne pourra témoigner devant Dieu et devant les hommes.» Alors, ô malheur ! D'une part parce que les femmes sont, de nature, faciles à persuader, d'autre part à cause de l'action de Satan, Théodora se laissa convaincre et l'acte s'accomplit.

Cependant, dès que le projet se réalisa, le remords de conscience et le blâme commencèrent aussitôt à percer amèrement son âme. En effet, quand une âme habituée aux vertus tombe à cause d'un court instant de plaisir, elle ne trouve pas de consolation. Se souvenant de l'honneur et de la chasteté passés et de la perte de ceux-ci due à un instant de mauvais plaisir, cette bienheureuse eut le coeur enþammé d'une afþiction immense. Elle pleurait amèrement, poussait des cris de douleur, et par de très profonds soupirs, elle criait au Seigneur à chaque instant ces paroles du prophète David : «Mes plaies sont puanteur et pourriture à cause de ma folie», et elle n'osait même pas demander pardon à Dieu pour son péché, craignant qu'Il ne S'irritât encore plus contre elle. Voyant une telle tristesse et n'en connaissant pas la raison, son mari essaya de la consoler de toutes les manières. Mais la plaie qu'elle avait en son âme était incurable, et ne lui accordait pas le moindre soulagement.

Elle s'enfuit donc secrètement et se réfugia dans un monastère où se trouvait une abbesse vertueuse. Se prosternant devant elle avec piété et humilité, elle demanda en larmes qu'on lui apportât le saint évangile aÞn de voir si Dieu avait eu connaissance du péché qu'elle avait commis la nuit précédente (puisque la sorcière lui avait fait croire que la nuit il n'y aurait aucun témoin). L'higoumène lui dit : «Qu'arrive-t-il au monde que Dieu ne sache pas ? Comme dit le Roi-Prophète : "Celui qui a planté l'oreille n'entendrait pas ? Celui qui a façonné l'oeil ne verrait pas ?" Cependant, si tu veux être délivrée rapidement de la plaie qui afþige ton coeur, révèle-la-moi et, par la Grâce de Dieu, peut-être en trouverai-je le remède.» Toute en larmes, Théodora redemanda qu'on lui apportât l'évangile; et dès que l'on le lui amena et qu'elle l'ouvrit, elle tomba aussitôt sur ces mots : «Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit.», ce qui a failli lui faire perdre la raison. Elle pleurait, gémissait, déchirait son visage de ses deux mains et poussait des cris de lamentation, disant : «Malheur à moi, la misérable, l'insolente qui ai osé déshonorer le lit de mon mari !»

C'est par ces lamentations et ce þot de larmes qu'elle se blâmait, car, à cause de l'iniquité qu'elle avait commise, elle se jugeait indigne de voir le ciel et la lumière du jour. Elle ne put donc trouver d'autre moyen que d'abandonner le monde aÞn de recevoir le schème monacal et ainsi se donner entièrement aux labeurs du repentir. Or, sachant que par la suite son mari la chercherait partout, elle se revêtit d'habits masculins et se rendit à un monastère d'hommes qui se trouvait à dix-huit milles de la ville d'Alexandrie pour s'y faire moine. Arrivée au monastère, elle demanda aux frères de la recevoir dans leur communauté. Les frères répondirent qu'il ne leur était pas possible de la recevoir tout de suite, qu'elle devait d'abord rester à l'extérieur du monastère, la tête découverte pour éprouver sa patience et c'est alors qu'ils la recevraient parmi les frères. Théodora accepta avec joie cette condition, sachant pourtant que dans ces déserts les animaux sauvages ne manquaient pas. Elle resta donc toute la nuit à l'extérieur des portes du monastère, et Dieu, qui protégea Daniel des lions, protégea aussi sa servante des bêtes sauvages. Le lendemain, voyant la soumission et l'endurance de la sainte, les frères la reçurent charitablement, comme un homme, dans leur communauté. Le supérieur la prit alors à part et l'interrogea ainsi : «Comment t'appelles-tu, et pour quelle raison veux-tu quitter le monde et devenir moine ? Ne serait-ce pas pour quelque grande nécessité ?». La bienheureuse répondit : «Aucune autre nécessité ne m'a obligé, père, de devenir moine, si ce n'est mon désir d'abandonner les soucis du monde et de supplier Dieu qu'Il pardonne mes péchés; mon nom est Théodore, serviteur de ta sainteté». L'higoumène reprit : «Écoute, frère Théodore : sache qu'ici où tu désires vivre, tu auras à supporter beaucoup de tribulations et de grandes peines; une obéissance et une extrême soumission aux services du monastère te sont nécessaires - non seulement à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur de la communauté. Et quand le besoin se présentera, il te faudra aller au village. Tu devras remplir toutes ces tâches sans un seul murmure. A part tout cela, tu devras, sans chercher aucun prétexte, jeûner, veiller, participer aux ofÞces, faire des métanies chaque jour et tourmenter ton corps aÞn de le soumettre au pouvoir de l'âme; il te faudra aussi lutter sans cesse contre les mauvaises pensées qui sont la mort spirituelle du moine».

Ayant trouvé ces paroles plus douces que le miel, la bienheureuse Théodora les accueillit dans son coeur avec beaucoup de joie. Aussi, elle promit à l'higoumène de les garder Þdèlement avec l'Aide de Dieu. Le supérieur l'accepta alors au nombre des frères et la revêtit du schème. La bienheureuse renonça aussitôt à tout désir mondain, elle haït le repos du corps et se donna aux peines et aux labeurs de l'ascèse. A tous les services qu'on lui conÞait, elle courait avec empressement, sans jamais montrer la moindre opposition. Elle passa huit ans à bêcher la terre et à entretenir les jardins où les pères cultivaient des choux; elle moulait le blé et pétrissait la pâte pour le pain des frères. Malgré tout cela, jamais elle ne manqua aux ofÞces de l'église, bien au contraire, elle s'y rendait pleine de ferveur et d'amour pour la divine Majesté. Elle ne cessait de peiner pour l'Amour du Seigneur, et quand elle se souvenait du péché qu'elle avait commis, elle ne pouvait se consoler. Quand elle terminait son travail, la nuit tombait; elle se reposait un peu et c'est alors qu'elle frappait amèrement sa poitrine, disant à travers ses larmes : «Pardonne-moi, Seigneur, car moi, la misérable, j'ai détruit la beauté de la pureté».

Il arriva une époque où l'huile manqua au monastère et le supérieur envoya Théodora avec deux chameaux à Alexandrie aÞn qu'elle en rapportât. Comme elle s'éloignait un peu du monastère, elle rencontra son mari sur le chemin (et ceci par la Providence divine). Depuis qu'il avait perdu une telle femme, les larmes ne cessaient de couler de ses yeux, car il croyait que Théodora l'avait quitté pour vivre avec un autre homme. Il suppliait donc Dieu nuit et jour qu'Il lui révélât la vérité. Alors le Dieu très-bon eut pitié de ses larmes et envoya un ange divin qui lui dit : «Si tu veux voir Théodora de tes propres yeux, lève-toi de bon matin, rends-toi sur le chemin qui s'appelle Martyre-de-l'Apôtre-Pierre, et là, tu rencontreras un homme dont tu regarderas attentivement le visage, et tu recevras ce que tu demandes».

Suivant donc le conseil de l'ange, il se mit en route à l'aurore et arriva le matin à l'endroit indiqué, où il la rencontra. Théodora reconnut tout de suite son mari, se souvint de l'amour qu'il avait pour elle et du péché qu'elle avait commis. Ses yeux se remplirent de larmes et elle poussa de profonds soupirs. Elle s'approcha de lui, le salua et continua sa route. Lui aussi la salua et chacun partit de son côté. Cependant, lui ne la reconnut point, puisqu'elle portait des vêtements de moine et que son visage avait complètement changé à cause des souffrances et de l'extrême tristesse qui la tourmentaient. Alors, le mari se mit à se lamenter, disant à Dieu qu'il avait été trompé par l'ange qui n'avait pas tenu sa promesse. Or, l'ange lui apparut à nouveau et lui dit : «J'ai tenu ma promesse et je t'ai bien montré ta femme; le moine que tu as rencontré hier en chemin, qui t'a salué et que tu as salué en retour, c'était ta femme Théodora. » Dès lors, son mari fut rassuré, sachant que Théodora n'était pas partie avec un autre homme et ce soupçon ne le tourmenta plus. Il était seulement triste d'avoir perdu cette si bonne épouse.

La bienheureuse Théodora se donna à de plus grandes ascèses et jour après jour, son coeur s'enþammait d'amour divin; elle mangeait du pain et de l'eau, d'abord une fois par jour, ensuite tous les deux jours, et se donnait plus de peine pour les travaux du monastère. Par la suite elle demanda au supérieur de manger seulement une fois par semaine. Dès qu'elle en reçut la permission, elle demanda une deuxième faveur, celle de porter à même le corps un vêtement de crin, aÞn de tourmenter cette chair qui lui Þt perdre la tempérance.

Ô sainte disposition de la bienheureuse Théodora ! Malgré tant de privations, tant de luttes et d'endurance dans les peines du repentir, la douleur ne s'atténuait pas, à cause du péché qu'elle avait commis, mais sans cesse elle s'en souvenait, et sans cesse elle pleurait. Et la bienheureuse usait d'une sainte colère pour se venger du diable, pour vaincre, par de profondes et nombreuses blessures, celui qui une fois l'avait vaincue. Or, le Dieu ami de l'homme non seulement avait, à cause de son repentir, pardonné son péché, mais aussi, en récompense de ses vertus, Il la gratiÞa du charisme et du pouvoir d'accomplir des miracles dont voici quelques-uns.

Près de ce monastère se trouve un grand lac où demeurait un redoutable crocodile qui dévorait tous ceux qui osaient s'approcher, hommes et animaux. Aucun des habitants des alentours n'osait traverser le lac, ni même s'en approcher. Des soldats furent mis par le sous-préfet d'Alexandrie pour garder le lac et en empêcher l'accès à tous ceux qui, ignorant l'existence de la bête, s'aventuraient par là. Or, l'higoumène connaissait les vertus de sainte Théodora et croyait bien que grâce à ses luttes elle avait reçu un charisme divin; il l'appela donc et lui dit : «Mon enfant Théodore, prends la cruche et va chercher de l'eau au lac». Théodora était tellement empressée de se soumettre que, dès qu'elle entendit l'ordre de l'higoumène, elle ne tint compte ni de la peur, ni du danger d'une mort évidente, mais s'empara aussitôt de la cruche et se hâta d'exécuter l'ordre.

Lorsqu'elle fut arrivée sur les bords du lac, beaucoup essayaient, par leurs cris, de l'empêcher d'approcher de peur qu'elle ne se fasse dévorer par la bête. Mais la sainte avait une telle foi en la bienheureuse obéissance qu'elle s'approcha malgré les cris, et ceux qui s'y trouvaient furent les témoins oculaires d'un redoutable miracle. En effet, comme la sainte pénétrait dans le lac pour remplir la cruche, le crocodile apparut, se dirigea vers elle, la prit sur son dos, et dès qu'elle eut rempli la cruche dans les profondeurs, le crocodile la ramena sur la terre ferme. Alors la sainte blâma cette bête féroce qui mourut aussitôt. Ainsi le monde fut délivré de la terreur et du danger, et tous gloriÞèrent Dieu et remercièrent la sainte.

Cependant, l'envie, qui avait chassé nos ancêtres du paradis, s'empara alors de certains moines qui, voyant Théodore mener une vie si angélique et irréprochable et être loué par tous, furent pleins de haine contre lui. Un jour, ils appelèrent le nommé Théodore à l'insu de l'higoumène, et le chargèrent de porter une lettre à un ermite qui habitait loin dans le désert, soi-disant qu'il s'agissait d'une affaire importante; mais leur intention était que, sur la route, elle se fasse dévorer par les bêtes, puisque ce désert était peuplé de carnivores et de reptiles venimeux. Mais ils s'efforcèrent en vain : non seulement ces bêtes ne Þrent aucun mal à la sainte, mais en plus, elles lui furent, par la Providence divine, une aide et un secours. En effet, toujours prête à obéir, elle sortit, s'éloigna du monastère et, avançant dans le désert, elle se perdit et ne savait plus quel chemin suivre. Survint alors un lion qui devint son guide, l'amena jusqu'à la cellule de l'ermite, et, sur le chemin du retour, la suivit jusqu'au monastère et y entra avec elle.

Pendant que la sainte se rendait chez l'higoumène pour lui donner la réponse de l'ermite, le lion se jeta sur le portier et enfonça ses griffes dans son corps pour le déchirer. Celui-ci se mit à hurler, si bien que les frères accoururent, mais personne n'osait approcher, si ce n'est Théodore qui saisit la bête et l'arracha du portier. Le moine fut sauvé à temps de la mort, car les crocs ne l'avaient pas encore atteint, mais il était grièvement blessé des coups de griffes. La sainte réprimanda la bête et celle-ci tomba aussitôt morte à ses pieds. Puis elle enduisit d'huile sainte les plaies du portier et le guérit après avoir prié le Christ. La bienheureuse aurait bien voulu que ce miracle ne fût connu de personne, mais cela était impossible. Tous les frères se répandirent en action de grâces pour le frère qui fut sauvé de la mort et des grandes blessures.

Ayant eu connaissance de ces événements et de la mission dont la sainte avait été chargée, l'higoumène lui demanda : «Frère Théodore, dis-moi, qui t'a envoyé et fait courir un danger si évident dans un lieu désert, la nuit ?» Voyez, frères, une âme vraiment pour le paradis ! A la question de l'higoumène, la sainte répondit : «Pardonne à ton serviteur, père, car à ce moment-là, j'étais enténébrée et je ne peux maintenant ni me souvenir, ni même te répondre». Avec une telle justiÞcation,d'une part elle fut protégée de la vaine gloire, d'autre part elle évita de révéler le nom de ceux qui lui avaient tendu le piège. Voyant cela, l'ennemi de la vérité grinçait des dents contre la sainte, et l'infâme ne se contenta plus désormais de l'attaquer invisiblement, mais se mit à lui apparaître en menaçant de ne plus la laisser tranquille jusqu'à ce qu'elle devienne la risée de tous ceux qui maintenant l'admiraient.

Quelques jours plus tard, comme le blé manqua au monastère, l'higoumène ordonna à la sainte de prendre deux chameaux et de se rendre à Alexandrie pour en acheter. Il lui recommanda, si elle ne pouvait pas revenir le jour même, de rester le soir dans un petit monastère appelé Enatos*, aÞn d'y passer la nuit et reposer les chameaux. La sainte partit donc et acheta le blé. Comme le soleil se couchait sur le chemin du retour, elle passa la nuit au petit monastère, selon l'ordre de son supérieur, et dormit aux pieds des chameaux. C'est alors que Satan commença son oeuvre.

Dans ce monastère se trouvait une jeune Þlle, parente de quelques moines qui vivaient là. Sur l'instigation du diable, elle s'éprit de la sainte, croyant que c'était un homme. Alors, sans aucune honte, elle s'allongea là où se reposait Théodora et tenta de lui faire commettre le péché. Mais cette jeune éhontée vit qu'elle essayait en vain; alors, désespérée et ne supportant pas l'ardeur de la chair, elle se donna à un étranger qui passait alors la nuit dans ce monastère. Le matin, celui qui avait commis l'iniquité rentra chez lui et la sainte s'en retourna au monastère avec les chameaux.

Peu de temps après, la Þlle devint enceinte, et les moines qui lui étaient parents lui demandèrent le nom de celui qui l'avait déshonorée. Inspirée par Satan, celle-ci leur répondit : «Ce moine du monastère Octokaidekatou *, Théodore, m'a violentée la nuit qu'il avait passée ici !» Croyant à ces paroles, ces moines accoururent aussitôt au monastère où vivait la sainte, et s'écrièrent, furieux : «Le moine Théodore n'a pas craint Dieu, n'a pas eu honte devant les hommes, mais il a commis un acte très impur et inique dans le monastère où nous l'avons accueilli». A ces paroles si inattendues, l'higoumène Þt venir la sainte et lui demanda si peut-être elle savait quelque chose à propos de ce péché. La sainte répondit qu'elle n'en avait pas connaissance, et ses accusateurs repartirent pour leur monastère.

A la naissance de l'enfant, ces mêmes parents le prirent, l'amenèrent au monastère de la sainte, le jetèrent au milieu de la cour et repartirent. C'est cette méthode-là que Satan utilisa pour attrister celle qui le blessait et pour l'empêcher de suivre le chemin droit de la vertu. Mais le trois fois maudit machinait en vain, et les þèches qu'il lançait sur la sainte se retournaient contre lui et le perçaient profondément. Tous les moyens qu'il utilisait pour la déshonorer devenaient la cause de son honneur et de sa gloire. Voici ce qui arriva : les frères crurent que Théodore était le père de l'enfant et ils l'exilèrent loin du monastère avec le nouveau-né.

Prenant l'enfant à charge, la bienheureuse Théodora, comme une véritable mère, le nourrissait de lait de brebis qu'elle demandait aux bergers, et confectionnait des vêtements avec la laine des moutons. Ô patience surhumaine de cette âme bienheureuse ! Qui aurait pu supporter une si absurde calomnie, surtout avec la possibilité de prouver en un instant son innocence ? Mais cette perle précieuse supporta le mépris pendant sept années dans un tel outrage, et pendant tout ce temps-là, jamais elle ne perdit patience; jamais elle ne prononça une seule plainte. Mais, se souvenant de ce péché qu'elle avait commis, elle acceptait, pour l'effacer, de souffrir toute cette humiliation. La nourriture de la sainte se limitait à des herbes sauvages, et sa boisson à l'eau du lac, qu'elle mêlait de ses larmes. Son corps dépérissait à cause de l'extrême souffrance, ses ongles avaient poussé, les cheveux de sa tête, jamais lavés, étaient devenus comme une crinière, et son visage, à cause de l'ardeur des rayons du soleil, avait complètement noirci.

Qui peut décrire les stations debout et les veilles qui transformèrent son corps, de sorte qu'elle ressemblait à un monstre étrange ? Malgré le fait qu'elle luttait comme un être incorporel, qu'elle supportait un tel mépris et les nombreuses attaques des démons, elle ne voulut pas s'éloigner de la communauté, mais, ayant construit une petite cabane, elle vivait là avec le petit enfant, tout près du monastère. Cependant, même là, l'ennemi ne cessait d'attaquer la sainte par diverses tentations, puisqu'à la moindre occasion, cette âme courageuse le blessait par ses combats surhumains.

Alors le diable, ayant pris l'aspect du mari de la sainte, se présenta devant elle et lui dit d'un air afþigé : «Ô ma bien-aimée et très-désirée Théodora, ô lumière et rayon de mes yeux, ô ma consolation, joie et douceur de mon coeur, cela fait déjà trop d'années que ton absence me tyrannise; je te supplie, mets Þn à mon immense tristesse, retournons chez nous pour mener ensemble une vie vertueuse». Croyant vraiment que c'était son mari, la sainte répondit : «Puisqu'une fois j'ai renoncé au monde, il ne m'est pas possible de retourner à ses vanités et à ses mensonges. De plus, comment pourrais-je regarder ton visage sans honte, puisque moi, la malheureuse, j'ai souillé la pureté de notre union ?» Ayant dit cela, la sainte se ressouvint de son péché, leva les bras pour prier, et comme elle ouvrait la bouche pour prononcer le redoutable Nom de Jésus Christ, le démon disparut.

Une autre fois, l'infâme Þt apparaître une multitude de bêtes de toutes sortes et, parmi elles, un géant qui se précipitait sur la sainte en ordonnant aux bêtes de la dévorer. Celle-ci encore se tenait sans crainte, disant ce verset : «Elles m'ont environné et enserré, mais au Nom du Seigneur, je les ai repoussés». (Ps 117), et aussitôt toute cette horde disparut dans l'air comme la fumée. Un jour, l'esprit impur lui apparut comme un général d'armée, suivi d'une multitude de soldats, et ces serviteurs de Satan dirent à la sainte : «Prosterne-toi devant le chef». Comme la sainte répondit qu'il ne faut adorer que Dieu seul, ce chef ordonna de la frapper, et ils la blessèrent tellement qu'elle tomba demi-morte. Le lendemain, quelques bergers la virent ainsi et se rendirent au monastère annonçant à l'higoumène que le moine Théodore était mort.

Or, vers minuit, la bienheureuse Théodora revint à elle et se mit à dire : «C'est justice pour moi, c'est moi la cause de tout le malheur, car j'ai commis cette iniquité au commencement». Elle priait donc Dieu de lui pardonner et aussi que les tentations cessent désormais, aÞn qu'elle ait un peu de répit. Arrivèrent alors ceux qui voulaient l'enterrer; l'entendant prier ils gloriÞèrent Dieu. Ils coururent annoncer au monastère que Théodore est ressuscité. L'higoumène jugea que sa punition avait assez duré, et que désormais elle gardât l'enfant près d'elle - puisque, après son sevrage, on l'avait séparé d'elle, loin du monastère. Mais Satan tendit d'autres pièges et Dieu permettait tout cela à l'ennemi, aÞn que sa couronne soit encore plus lumineuse et plus glorieuse.

Une fois, le diable Þt apparaître devant la sainte, à l'extérieur du monastère, une grande quantité d'or entassé sur le sol. Une autre fois encore, alors qu'elle était assise dans sa cellule, une multitude de serviteurs arrivèrent et lui présentèrent divers plats rafÞnés, assaisonnés et aromatisés, en lui disant : «Ce général qui avait ordonné de te frapper il y a quelque temps, s'est repenti et t'envoie cela amicalement aÞn que tu lui pardonnes». Mais la sainte qui maintenant avait appris à reconnaître les artiÞces de Satan, faisait disparaître toutes ces apparitions à l'aide du signe invincible de la croix.

Quand les sept années furent passées, ces moines de l'Enatos, qui avaient calomnié la sainte, arrivèrent au monastère et demandèrent à l'higoumène de recevoir le moine Théodore dans la communauté des frères, puisque son châtiment avait assez duré; ils ajoutèrent qu'ils avaient appris par une révélation divine que le péché de Théodore était pardonné. Alors, suivant leur conseil, l'higoumène ordonna que Théodore demeurât dans une cellule à l'intérieur, pardonné et libéré de son accusation, et qu'il fût dispensé de tout service du monastère. La bienheureuse ne se reposa pas pour autant, mais augmenta les combats de l'ascèse, les jeûnes, et s'adonnait à la prière. L'higoumène observait la conduite de la sainte et la révérait secrètement, se rappelant son obéissance d'autrefois, et maintenant son extrême patience; aussi il ressentait que la divine grâce l'habitait et il espérait toujours voir en elle quelque signe révélateur de sa vertu.

A cette époque-là, il y eut une telle sécheresse que les lacs et les puits, qui étaient la réserve d'eau pour les besoins du monastère, étaient à sec. Alors, l'higoumène ordonna à la sainte de prendre le seau avec lequel on puisait l'eau, de le remplir au puits et de le rapporter. Sans manifester aucun signe d'étonnement, la sainte obéit avec empressement et s'emparant du seau, elle le Þt descendre dans le puits vide et le Þt remonter rempli d'eau. Au même moment, par la grâce qui habitait la sainte, toutes les réserves du monastère se remplirent à nouveau.

Quelques jours plus tard, la sainte se mit à conseiller l'enfant comme un vrai père. Entendant parler depuis l'extérieur, des frères allèrent le dire à l'higoumène qui ordonna à certains d'entre eux de rester en cachette, à l'extérieur de la cellule pour écouter ce que disait Théodore à l'enfant. Ces moines s'y rendirent donc et entendirent la sainte conseiller l'enfant ainsi : «Écoute, mon enfant bien-aimé, je vois que la Þn de ma vie approche, et je désire jouir au plus vite de la vie bienheureuse et véritable. Toi, mon enfant, je te conÞe à Dieu, le père des orphelins, et à l'higoumène du monastère. Recherche, mon enfant, la richesse de l'âme, qui est véritable, et non celle du corps qui est trompeuse. Ne cherche pas l'honneur venant des hommes, car il nous conduit en enfer, mais recherche la gloire céleste. Déteste l'excès de sommeil, aime la tempérance, ne donne pas d'importance au soin des vêtements. Sois toujours prompt à la prière, prends bien garde à ne jamais négliger ton ofÞce. Sois toujours aimable envers tous les frères, aide-les autant que tu peux, et sers les faibles. Ne cherche pas à vivre du travail des autres. Garde-toi bien de juger quiconque, soit en bien, soit en mal, même en pensée. Quand on t'interroge, incline la tête vers le sol et c'est ainsi que tu répondras. Ne te moque de personne, surtout quand celle-ci se trouve dans le malheur. Quand tu apprends qu'un frère est négligent, prie Dieu de le corriger. Visite et aide les malades, sois le serviteur des frères aÞn de devenir ami du Christ qui pour toi S'est fait serviteur et esclave. Fais toujours attention, mon enfant, à ne pas tomber dans les tentations; et s'il arrive que tu tombes, relève-toi tout de suite en te repentant et mets-toi aussitôt en prière. Si tu agis de cette façon, mon enfant, Dieu t'exaucera toujours et t'aidera spirituellement et corporellement».

Après avoir ainsi conseillé l'enfant, la bienheureuse rendit son âme lumineuse dans les Mains de Dieu. L'enfant se mit à pleurer si fort, que les moines, en entendant les sanglots, coururent à l'higoumène et lui rapportèrent tout ce qu'ils venaient d'entendre. Alors, celui-ci leur dit : «Moi, j'ai eu, mes frères, une surprenante vision : deux hommes vinrent à moi et m'élevèrent très haut dans l'air. Là, je vis une multitude d'anges et j'entendis une voix me dire : "Regarde tous les biens que J'ai préparés pour mon épouse Théodora". Je voyais aussi un ange qui portait un lit d'une beauté indicible. Voyant cette parure nuptiale, je demandai pour qui était préparée cette cérémonie. Tout à coup, je vis le choeur des prophètes, des apôtres, des martyrs et de tous les justes, et au milieu de ces rangs apparut une femme parée de gloire et de lumière et qui s'assit sur ce lit merveilleux. Les hommes qui me portaient disaient que c'était l'abba Théodore, qui fut calomnié injustement, qui avait préféré supporter un tel mépris pendant sept ans, chassé de la communauté, endurer que tout le monde le croie père d'un enfant étranger, et nourrir, sans se plaindre, la semence d'autrui dans une telle souffrance, plutôt que de révéler qui elle était et d'être ainsi délivrée d'une si grande honte. C'est pourquoi il a été jugé digne de cette gloire. C'est ici, mes frères, que se termine la vision. Et maintenant, allons à la cellule de Théodore pour voir ce qui se passe».

Alors l'higoumène se rendit avec les frères à la cellule de la sainte et trouvèrent là la bienheureuse endormie avec l'enfant qui pleurait. Quand on découvrit que la sainte était une femme, l'higoumène et les frères répandirent des þots de larmes sur la sainte relique. Puis, l'higoumène Þt appeler ces frères qui avaient calomnié la sainte, aÞn qu'ils vissent ce fait inattendu et qu'ils se repentissent de leur odieuse calomnie. Quand ils arrivèrent et virent, ceux-ci restèrent stupéfaits et tremblaient de peur, croyant que la Colère divine s'abattrait sur eux à cause de l'injustice commise contre la sainte. Une multitude de moines se rassemblèrent de toutes parts et il n'y eut personne qui ne pleurât de tout son coeur.

Alors, un ange du Seigneur apparut à l'higoumène et lui ordonna d'envoyer immédiatement au village un homme à cheval, et, le premier homme qu'il rencontrerait, qu'il le prît sur son cheval et l'amenât au monastère. Il s'agissait du mari de la bienheureuse Théodora, qui, avant que l'on l'appelât, avait eu une révélation divine et s'était déjà mis en route pour le monastère. A son arrivée, voyant la relique sacrée de la bienheureuse, et tombant dessus, il pleura amèrement, se lamenta, appela la sainte par son nom et évoqua la vie vertueuse et pure qu'ils avaient menée ensemble avant qu'elle parte, si bien que les assistants s'émerveillèrent à ces paroles dignes de louange.

Ils adressèrent donc à Dieu des hymnes et des doxologies avec grande piété et componction et c'est ainsi qu'ils enterrèrent ce corps vénérable qui avait beaucoup lutté. Son mari, par les prières de la sainte, resta dans le monastère, et, devenu moine, il demeura dans la cellule de son épouse, mena une vie ascétique, s'endormit dans le Seigneur et fut enterré aux côtés de la sainte. L'enfant que la bienheureuse avait élevé progressa tellement dans la vie monastique qu'il devint plus tard higoumène de ce monastère, élu par les frères.

Par les intercessions de notre sainte mère Théodora, aie pitié de nous et sauve-nous, Christ notre Dieu, Toi à qui revient la gloire dans les siècles. Amen.




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